Politique

Chronique de MASAKURU (Première partie)

L’état de délitement avancé du Mali est un fait qui saute à l’œil. Le pourquoi et comment en est-on arrivé là est à chercher dans les méandres d’un système politico-social qui s’est installé dans notre pays à la suite des événements de novembre 1968. Cela est l’avis d’un citoyen averti, témoin de l’évolution de notre pays de 1968 à nos jours. Dans cette chronique titrée « LA REPUBLIQUE EN OTAGE : LE BLUES DU GENREUX », MASAKURU donne des détails sur ce qu’il estimé être un cancer pour le Mali.     

LA REPUBLIQUE EN OTAGE : LE BLUES DU GENREUX

A la mémoire des héros de l’Indépendance du Mali

…. l’Etat du mensonge

Dans le Mali d’aujourd’hui, perdu sans étoile de pasteur pour illuminer un firmament assombri, vide sidéral obscur où abonde une foultitude de pâles lueurs, on ne compte plus les lieux de leurres, à l’heure d’illuminés des médias sociaux qui surfent sur les vagues d’un océan d’ignorance agité par des ambitions malsaines. C’est la nuit du sabbat des sorciers au Kohīma Hondo, la veillée des prêtres de l’art divinatoire, moment annonciateur du temps des genreux.

D’abord, le triste tableau. Nous nous retrouvons dans un espace public mélimélo, une fourmilière besogneuse où les gens se démènent, ne se font plus confiance, respectent peu de chose, ne plient qu’à la force et ne croient qu’en l’Argent. Ils sont légions à prétendre à un statut, un rôle ou des fonctions de la république, soutenus par les leurs, bien qu’ils n’aient pour cela aucune aptitude ni compétence, et n’en ont manifestement pas le mérite. Ou plutôt, c’est leur acception très approximative du mérite qui ne manque pas de poser problème, car le leur serait d’un tout autre genre que la capacité régulièrement prouvée, l’œuvre accomplie vérifiable, la qualité, l’expérience, requise et le potentiel attesté qui oblige.

Malgré l’absurdité de pareilles prétentions, on comprend, dans une tentative d’objectivation de cette mentalité infuse, pourquoi un tel festival de « sans-culottes ». Depuis l’accident historique de Novembre 1968, où de jeunes officiers subalternes sans culture ont ravi le pouvoir, s’est peu à peu répandu un réflexe utilitaire du service de l’Etat, faisant toute sa place au système relationnel de la société malienne. Ainsi, vous pouviez vous retrouver à tous les postes désirés, si vous avez l’onction des jeunes putschistes d’alors, qui ne se privaient de rien pour affirmer leur statut de « nouveaux maîtres » du pays. Le mérite, le diplôme et le savoir n’assuraient plus la promotion de l’agent au service. L’ascenseur direct était le coup de piston de la junte et alliés. Il a bien profité aux relations intimes et à leurs recommandés.

Le pays n’a pu se sortir depuis de ce pervertissement, d’autant que des nuls étaient appelés et tolérés à de hauts postes de sinécure, où ils étaient mis pour jouir, et, ce faisant, devaient apprendre la mécanique routinière des choses qui les conforteraient. Il fallait juste maîtriser un langage, et non développer un savoir. Cela explique d’ailleurs le syndrome de l’ultracrépidarianisme dont nous souffrons de nos jours, à travers la manie de pouvoir s’exprimer en français et de faire injure à la technicité. Conséquence : les abrutis n’ont plus de complexe, ils ont vu des leurs pavoiser à la tête de l’Etat et dans les Institutions qu’ils pensaient réservés à une élite ; il doit donc y avoir de la place pour eux tous.

S’y sont mis aussi les associations d’anciens et amicales de frondeurs, d’ici et d’ailleurs, comme un faire-valoir républicain. « On s’est opposé, et on a même jeté des cailloux». Sapeurs et sabreurs, chacun réclame des galons de soldat, en quête de la reconnaissance d’avoir été d’un épisode de lutte… glorieuse (!?). Les anciens de l’UNEEM en ont fait un fonds de commerce avec ATT, qui en avait sur la conscience avec la mort d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, secrétaire général de l’association lâchement assassiné dans des circonstances qu’il s’est abstenu jusqu’ici d’élucider, ne lâchant que quelques brides. Ceux de l’AEEM aussi ont suivi cette « mendicité corporatiste » opportuniste, avec des déclarations tapageuses sur les antennes nationales pour marquer l’accès au perchoir des leurs.

L’Etat malien, vidé de son essence, a longtemps vaqué dans ce régime des hyènes gloutonnes, faisant leur festin sur sa carcasse. Ce qui a engendré la sclérose de son Administration et porté ses employés sur le gain immédiat, au lieu du résultat attendu de leur travail. Les enfants nés dans cette période d’inversion des valeurs, des années 1970 à l’an 2000, ont entre 20 et 50 ans en 2020. Ce sont des plus ou moins jeunes, qui n’ont pas vu un Mali autre que celui des usurpateurs du pouvoir, des privilèges de famille, des passe-droits de fonction, des abus du bien public, du népotisme, du favoritisme, de la règle constante des relations pour gagner (concours, emplois, marchés, procès, visas, grades). Et, cette génération se trouve déjà aux affaires. Mieux, elle a vu, ces dernières années qu’il lui a été donné de connaître, des guignols de tout venant promus à de hauts postes de l’Etat, qui plus est, sans le bagage ni la référence, ou encore une moindre légitimité.

Tous ces parvenus, qui ont outrancièrement décrédibilisés le pouvoir politique, l’autorité de l’Etat, se prévalent de liens familiaux (filiation, alliance), d’affinités, de relations troubles, mêlés au clientélisme, à l’affairisme et à la corruption. Le résultat de cette gestion relationnelle sur les 23 ans de régime militaire et sur les trente années de l’expérience démocratique corrodée, chacun l’a vu : un Etat moribond, des pouvoirs décriés, le sentiment général d’injustice, l’absence d’autorité.

C’est dire qu’en vérité, cette génération venant maintenant aux affaires n’est pas aussi choquée par toutes ces pratiques qui, pour elle, ont toujours existé, pensant à tort que le monde, ou du moins le Mali, est ainsi fait. Le ressenti est tout autre chez les générations précédentes, qui ont vu le Mali des hommes droits, courageux, intègres, dignes, sacrifiant discrets au devoir, incapables de soustraire un franc des caisses de l’Etat et de la collectivité. Un autre monde. Les idéaux et les convictions avaient alors un tout autre sens. Des valeurs profondément incarnées par la personne du président Modibo Kéita.

Cette longue parenthèse était pour faire comprendre pourquoi à présent des personnes qui n’ont pas qualité à occuper un emploi, parce que ne répondant pas aux critères logiques et conditions nécessaires, osent candidater, sont nominés, et même jouent des pieds et des mains pour se proposer à des dignités, toute chose impensable avant. Ce qui a permis ce genre de retournement, c’est l’Etat du mensonge (objet d’un précédent article) qui, par finir, a gangrené la société entière jusqu’à la métastase.

Voilà le genreux !

Je reprends cette plume de sentinelle, parce que se dessine sous nos yeux un spectacle des plus ahurissants. On a entendu, ici et là, un écho prolongé d’un pseudo-clivage entre « vieux » et « jeunes » au sein du M5-RFP. Des accusations gratuites fusent contre les acteurs du mouvement insurrectionnel de 1991, qui seraient encore là pour prétendument ravir la place aux jeunes.

De l’avis de ces « perturbateurs », ce sont les jeunes qui ont mené leur lutte (?!), donc le fruit de la lutte leur revient de droit. Et, ça leur monte à la tête. A croire que les leaders du mouvement qui ont pris l’initiative d’engager le combat, de les mobiliser, eux, les encadrer, animer les divers espaces, porter la parole à l’international, n’auraient aucun mérite. Allons (!). On a entendu aussi à la bouche de certains, chose tout aussi ridicule, qu’il faut un partage de pouvoir, de postes, entre Maliens de l’intérieur et Maliens de l’extérieur. Voilà le genre de bêtises et de sottises entendues ces derniers temps, depuis la chute du Président IBK. Elles procèdent toutes de la même maladie : le genreux. De quoi s’agit-il ?

Le genreux parle de ces personnes qui aiment à soutenir à tout vent, envers et contre tous, les leurs : communautés, familles, amis, associés, partisans, alliés, collègues, autrement dit leurs semblables.

L’attitude pourrait être louable, si elle se fait dans un souci de vérité, avec honnêteté, équité, raison, partant, si la cause défendue est juste. Mais, le plus souvent, il s’agit d’un réflexe inconditionnel de partialité filiale, identitaire, associative, corporatiste, confraternelle, communautaire… voire fortuite, occasionnelle. Le danger du genreux, sorte de narcissisme de collectif, c’est que le vice se couvre, la faute passe, le tort se maquille, le débat emprunte la mauvaise foi, le regard se détourne de l’injustice, la raison étant mise de côté au seul but de soutenir et défendre coûte que coûte son camp, le genre, la sorte, l’espèce, le groupe, la famille, les protégés.

Un tel esprit est des plus malfaisants, car de là naissent, couvent et prospèrent toutes formes de ségrégation, de discrimination, d’exclusion, d’antipathie, de rejet subjectif des autres, sous différents prétextes et le poids d’autres complexes. Dans les organisations, ces comportements de mépris, d’aversion, de mesquinerie, se traduisent par le travail fractionnaire, ou le sectarisme ; dans les services, ils s’apparentent à un clanisme pervers dans des considérations de personne, de groupes d’amitié, d’appartenance, de profils, parfois d’origine ; dans la communauté ils prennent la forme d’un schisme, d’une dissidence, d’une fragmentation sociale ; dans la collectivité, cela évolue vers « l’autochtonisme », un « racisme » ; finissant, dans l’État, par un irrédentisme, une xénophobie, voire un séparatisme.

La suite dans notre prochaine parution

MASAKURU

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