Nous avons tous appris récemment par communiqué officiel, la décision du gouvernement français de suspendre sa coopération militaire avec le Mali. La rupture de ce partenariat n’a nullement été une surprise pour le peuple malien, car le bilan des huit (8) ans d’opérations anti-terroristes des forces françaises est très mitigé et se traduit par une impasse totale. L’enlisement de Barkhane au sahel est autant critiqué par l’opinion publique française que par l’opinion publique des pays du Sahel. Malgré les évaluations pessimistes qui imposent la nécessité d’un changement de stratégie dans les opérations, la situation est devenue encore beaucoup plus préoccupante face à l’accroissement des attaques de groupes terroristes et la multiplication des exactions contre la population civile du Mali, victime de leurs actions violentes et meurtrières. C’est pourquoi aujourd’hui, le peuple malien dans sa plus grande majorité, réclame impérativement des nouvelles autorités maliennes, la diversification du partenariat opérationnel pour des raisons d’efficacité sur le terrain au Sahel, afin de contrebalancer l’équilibre des forces. Plusieurs rapports ont mis en lumière une complicité entre les groupes terroristes et la CMA, composée en partie du MNLA dont certains membres séparatistes faisaient partie du gouvernement dissous. L’ancien président du Niger Mahamadou Issoufou, avait même exprimé son inquiétude sur le statut de Kidal qui selon lui est devenu le sanctuaire du terrorisme. Le peuple malien n’a pas encore eu accès à tous les éléments de compréhension de la nouvelle crise qui a secoué l’actualité politique à Bamako depuis mai 2021.
Crise politique au sommet de l’État :
Le 24 mai dernier, le Président Mbah Daw et le chef de gouvernement sortant Moctar Ouane, sont conduits au camp militaire de Kati. Pour préserver la bonne conduite de la transition, une éviction s’est imposée suite à de graves allégations de haute trahison contre le Mali. Cette situation a mis en doute la confiance du peuple malien envers ce gouvernement de transition qui ne pouvait plus être représentatif et sa dissolution était exigée dans ce contexte. Contrairement au scénario survenu au Tchad, il y’a eu beaucoup d’agitations réclamant condamnations et des sanctions contre le Mali, appuyées par une instrumentalisation à tort ou à raison en fonction des intérêts des acteurs concernés. La première intervention est venue de la CEDEAO dont la position s’est caractérisée par la sagesse de leur jugement après avoir été informée des présumés motifs de cette nouvelle crise politique au sommet de l’État malien.
Dans les conditions normales d’un État de droit, et si des preuves suffisantes existent contre MBah Daw et Moctar Ouane, ils devaient être poursuivis devant la haute Cour de justice qui devait à son tour, statuer sur la qualification de l’infraction reprochée. Mais cette procédure n’a pas été suivie dans le respect de leurs droits fondamentaux. C’est le caractère d’un pouvoir d’exception qui a conduit à cette situation malheureuse qui est interprétée différemment. La décision des nouvelles autorités maliennes a le mérite d’avoir évité une crise de légitimité politique dans la poursuite de la transition, en acceptant d’associer à la gestion du pays, le M5-RFP qui est un mouvement représentatif des partis politiques et des forces vives de la Nation. La deuxième intervention s’est traduite par le communiqué des autorités françaises qui ont décidé d’exprimer leur mécontentement à travers une décision unilatérale compromettant une entente dont la France fait partie.
Suspension de coopération militaire avec l’armée malienne :
La décision française peut être analysée dans le cadre de la mise en œuvre d’un accord dont le consentement (d’une des parties) est altéré. Ensuite il faut examiner le contexte du manque de respect de l’application du droit international qui régit la relation entre la France et le Mali en matière de coopération militaire. Nonobstant la clause de retrait qui doit obéir à certains principes, une des parties (les autorités françaises) décident de suspendre unilatéralement ses obligations contractuelles sans assumer les conséquences qui en découlent. Nul ne doute, que leur décision de suspendre la coopération militaire avec l’armée malienne est un acte qui leur appartient souverainement et dont on ne peut nullement critiquer l’objectif si ce n’est la forme. Les conséquences politiques et juridiques de cette décision placent les forces françaises dans l’irrégularité sur le sol malien. Les autorités françaises ne peuvent pas se retirer d’une entente qui lie juridiquement la présence de Barkhane sur le sol malien à son obligation de coopérer avec l’armée malienne. Dans les circonstances, les forces françaises ne peuvent plus entreprendre une quelconque opération sur le sol malien y compris leur déplacement en dehors d’une base juridique. Cette question doit être tranchée par le sénat français. Le conseil d’État français de son côté doit également donner son avis sur la valeur actuelle de la lettre Dioncounda Traoré, délivrée en 2012 aux autorités françaises pour autoriser une intervention sur le territoire malien. Il n’appartient pas aux autorités maliennes de procéder à aucune clarification devant un fait accompli qui comporte les germes d’une humiliation de l’État malien. Dans le cas d’espèce, cette décision de rupture rend caduque toute entente de coopération militaire avec le Mali et la simple présence de Barkhane sur le sol malien doit être interprétée comme une violation flagrante de la souveraineté territoriale du Mali, au regard du droit international qui régit les relations entre la France et le Mali dans le domaine militaire.
Cette situation consacre définitivement l’absence de consentement de la partie malienne dans l’exécution de cette fameuse coopération militaire et transforme le statut de Barkhane sur le sol malien : de partenaire opérationnel, en force d’occupation. Toute volonté éventuelle d’une reprise des opérations par Barkhane ou de coopération avec l’armée malienne, doit se faire sur une nouvelle base d’entente. Mais pour l’instant, par respect envers la souveraineté malienne, la décision française de suspension doit consacrer le retrait définitif des troupes françaises. Tous les partis politiques maliens (confondus), ont raté l’occasion de démontrer au peuple malien leur capacité proactive de gérer l’État malien en prenant position sur cette décision de la France. Face à un enjeu aussi important sur la question de souveraineté, comment peuvent-ils plus tard venir convaincre le peuple malien sur leur capacité de défendre les intérêts du Mali. En tout état de cause, les troupes françaises n’ont plus de raison légale et légitime de demeurer sur le sol malien.
Préparé par BOUBACAR TOURÉ, juriste, Montréal, Canada