La titrologie serait un néologisme de Claude Duchet qui signifie « l’étude des titres ».
Quant au titre, il est un élément paratextuel difficile à définir. C’est la raison pour
laquelle, Genette rappelle dans « Seuils » que « la définition […] du titre pose quelques
problèmes, et exige un effort d’analyse ». Le titre est une note, généralement courte, qui
impressionne, motive, leurre ou décourage le lecteur. Max Roy, dans son article intitulé
« Du titre littéraire et ses effets de lecture », souligne que « tout lecteur, pourtant, apprend
tôt ou tard à se méfier des titres de livres. Ils sont imparfaits, trompeurs et
manipulateurs ». Dans cet article nous allons tenter de classer les titres que contient le
second roman de Sibirinan Zana Coulibaly intitulé « Quand on est mouton, on garde sa
toison blanche ».
Du latin « titulus », le titre n’est simple que d’apparence. Il demeure un élément
difficile à cerner même chez les titrologues, car il varie d’un auteur à un autre, d’une œuvre à
une autre et d’un siècle à un autre. On peut le définir comme l’identité d’une œuvre ou la note
indiquant le contenu de cette dernière. Selon Wikipédia, « un titre est un type de métadonnée
consistant en un nom que l’auteur d’un document ou d’une œuvre choisit pour designer sa
production ». Léo H. Hoek, un des spécialistes de la titrologie, aussi réagit au sujet du titre.
Pour lui, il est « un objet artificiel, artefact de réception ou de commentaire, arbitrairement
prélevé par les lecteurs, le public, les critiques, les libraires, les bibliographes […] ». Dans un
sens plus large et métonymique, le titre indique l’œuvre elle-même.
Il y a plusieurs catégories de titres. Nous pouvons citer entre autres les titres
thématiques, les titres rhématiques, les titres mixtes, les titres ambigus, les titres
éponymiques, les titres métonymiques, les titres métaphoriques, les titres « dépendants », les
titres kilométriques, les titres antiphrastiques, les titres paragénériques, pour ne citer que
ceux-là. Le titre thématique souligne le thème de l’œuvre (« Pour un adultère » de Paul-Marie
Traoré) ; le titre rhématique indique le genre du texte (« Roman de Thèbes ») ; le titre mixte
associe le genre et le thème (« Poésie et Vérité » de Paul Éluard) ; le titre est dit éponymique
lorsqu’il porte sur le personnage principal de l’œuvre (« Sali » de Sibirinan Zana Coulibaly,
« Sira » de Modibo Basseydou Touré) ; le titre métonymique accentue un personnage
secondaire ou un contenant pour un contenu ou encore une cause pour un effet (« L’Afrique et
ses problèmes » de Idrisse Kanouté).
Quant au titre métaphorique, il referme une image, une métaphore (« Les étoiles
brillantes » de Abdoulaye Berthé, « Les grands fromagers » de Djénéba Fotigui Traoré, « Les
mamelles de l’amour » de Fatoumata Keita) ; le titre « dépendant » est difficile à comprendre
tout seul car il a une valeur sémantique incomplète (« Un jour je m’en irai sans en avoir tout
dit » de Jean d’Ormesson) ; le titre kilométrique s’identifie par sa longueur (« Si le noir n’est
pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne
pas l’empêcher de se tenir debout… » de Venance Konan) ; le titre antiphrastique trahit le
contenu du texte (« Rhinocéros » de Eugène Ionesco) ; le titre paragénérique éclaircit le genre
et précise l’aspect formel du texte (« Le Décaméron » de Boccace). Le titre de l’œuvre de
Sibirinan Zana Coulibaly (« Quand on est mouton, on garde sa toison blanche ») et ceux des
chapitres constituent un mélange de catégories qui révèle en fin de compte une écriture
hybride et innovante.
Le titre du roman « Quand on est mouton, on garde sa toison blanche » se distingue de
celui des autres œuvres par deux valeurs esthétiques : d’une part, il constitue une phrase
moyennement longue (titre kilométrique) qui a une construction proverbiale (titre
proverbiale) ; d’autre part, il est suivi d’un sous titre explicatif : « Péripéties d’un refugié
climatique ». Il faut rappeler que si le premier phénomène relatif à la longueur et la
« proverbialité » renvoie à une innovation, le second qui concerne le sous-titre, quant à lui,
est d’ordre traditionnel car comme le témoigne Margo Nobert dans « Le titre comme séduction
dans le roman Harlequin : une lecture sociosémiotique », c’est « aux XVII e et XVIII e siècles,
[que] le sous-titre explicatif se subordonne au titre ». À travers le caractère ambivalent de ce
titre romanesque, l’on peut se permettre de considérer déjà Sibirinan Zana Coulibaly comme
un écrivain à cheval entre tradition et modernité. Au-delà du titre du roman, les titres des
différents chapitres qui le composent sont conçus selon une formule diverse et multiforme.
Certains d’entre eux sont pluri-identitaires.
Sans aller loin, nous pouvons classer les titres des 28 chapitres en deux lots : celui des
noms (titres nominaux) et celui des verbes (titres verbaux). D’une part, les titres nominaux
qui sont les plus nombreux se différencient les uns des autres. D’abord, ceux des chapitres 1,
7, 12, 18, 24, 25, 27, 28 sont tous calqués sous un modèle associant le déterminant, le nom et
l’adjectif (dét. + nom + adj.). Le titre du chapitre 1 « la grande sécheresse » (p.9) et celui du
chapitre 12 « une rencontre fortuite » (p.135) sont aussi des titres thématiques car ils
annoncent respectivement le thème de la « sécheresse » et de la « rencontre ». Le titre du
chapitre 7 « le rodeur nocturne » (p. 83) semble plutôt métaphorique. Le lecteur se demande,
le mot « rodeur » renvoie à qui ou à quoi : un djinn ? Un être (voleur, mendiant, etc.) ? Un
animal (chien, l’hyène, etc.) ? La réponse à cette question nécessite la lecture de ce chapitre.
Quant au chapitre 27 « le bonheur perdu » (p.287) et le chapitre 28 « le bonheur retrouvé »
(p.291), ils sont antinomiques car le premier et le deuxième sont opposés.
Ensuite, les titres des chapitres 3,10, 18, 21 sont à la fois nominaux et périphrastiques.
Par exemple au chapitre 3 intitulé « Wattarala, terre d’accueil » (p.27), la « terre d’accueil »
explique « Wattarala » et au chapitre 10 « Setou l’héroïne du village » (p.109), « l’héroïne du
village » renvoie à « Setou ». En outre, le titre du chapitre 17 « châtiment divin, changement
climatique, fin des temps ou colère des démiurges ? » (p.187) est à la fois nominal,
interrogatif et kilométriques. Enfin, la particularité du chapitre 9 « comme un cheval
mordeur » (p.99) est l’élément de comparaison « comme ». Cet élément le donne l’identité
d’un titre comparatif.
D’autre part, les titres verbaux sont majoritairement kilométriques. Premièrement, le
chapitre 15 « aucun homme ne peut être une ile » (p.169) a un titre métaphorique car le mot
« ile » renferme une image qui peut être « le bonheur », « l’humidité », etc. Ce titre semble
plus argumentatif que narratif. Deuxièmement, le titre du chapitre 20 « chien errant tombe sur
un os moelleux » (p.231) contient un participe présent et met à l’écart des déterminants :
« chien » au lieu de « un chien », « os » au lieu de « un os ». Dernièrement, le titre du
chapitre 26 « opération pay yoursel » (p.279) inclut deux langues : le français par l’emploi du
mot « opération » et l’anglais par le groupe de mots « pay yoursel » qui peut se traduire
« payer soi-même ».
Pour finir, face à ces titres « pluriformes », il est permis de reprendre les propos de
Amadou Hampâté Bâ : « de même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs »,
la beauté de « Quand on est mouton, on garde sa toison blanche » de Sibiranan Zana Coulibaly
tient à la diversité de ses titres.
Modibo Ibrahima KANFO