Avec la disparition de Soumeylou Boubèye Maïga (SBM), ce lundi,21 mars 2022, le mouvement démocratique malien perd un de ses plus emblématiques combattants. Quoi qu’on dise, l’homme ne laissait personne indifférent. Avec sa mort en détention, sans jugement, la Transition aura sans doute une lourde charge sur sa conscience. Puisse cette tragédie servir de leçon à la justice afin de l’amener à diligenter ses procédures d’enquête sur de présumés coupables. La rédaction présente ses sincères condoléances à la famille éplorée de l’illustre disparu. Qu’Allah le Tout Puissant, l’accueille dans son paradis.
Par ailleurs, à l’occasion de sa nomination comme premier, ministre du régime défunt, le 30 décembre 2017, Delta News dans sa parution N° 173 du 10 janvier 2018, avait publié un billet sur le nouveau Premier Ministre Soumeylou Boubèye MAÏGA (SBM). Nous vous invitons à le lire ou à le relire pour vous faire une idée que nous nous faisions de l’homme d’état qu’il était.
Dans le microcosme politique malien, et particulièrement dans le Camp de la Majorité Présidentielle(CMP), s’il y a un homme politique qui a bénéficié d’un cadeau de nouvel an dont il avait sans doute rêvé depuis l’accession de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à Koulouba, c’est bien Soumeylou Boubèye Maïga, SBM ou encore Boubèye pour ses camarades et amis. En observant le parcours de l’homme, à travers son cursus scolaire et universitaire on constante que l’homme est d’une intelligence au-dessus de la moyenne. Ce n’est pas cela qui nous intéresse. Nous allons plutôt jeter un regard sur sa vie d’homme politique. Il est à noter que comme beaucoup de jeunes de sa génération il s’est imprégné de la littérature marxiste-léniniste, ce qui a forgé sa capacité d’analyse d’une situation socio-politique et qui l’a conduit à adhérer à la lutte clandestine contre la dictature du général Moussa Traoré en utilisant sa plume de journaliste. On s’en souvient que dans les années 1970, qu’il a été le rédacteur en chef d’un périodique Sundiata dans lequel paraissaient, plusieurs articles critiques de façon subtile sur le régime militaire. La dernière goutte qui a fait déborder le vase a été la publication d’un numéro dans lequel figuraient à la Une deux montages – photos très parlants : l’un montrait le lieutenant Moussa Traoré et ses 14 camarades du CMLN (Comité Militaire de Libération Nationale) en 1968 vêtus de treillis efflanqués, regroupés ; l’autre 10 ans après, en 1978 où apparaissait un Moussa Traoré devenu entre-temps général. Il apparaissant en véritable patron, dominant, avec un grand boubou basin brodé, empesé, entouré des membres rescapés des différentes purges opérées par le général dont la plus importante en février 1978. Ce fut la dernière parution du magazine Sundiata.
Militant au sein du Parti Malien du Travail (PMT), parti des feus Abdourhamane Baba Touré, Yolo Tolo, Zoumana Maïga, Khadari Bamba, Mohamed Lamine Gakou et autres Pr Ali Nouhoum Diallo, Diadié Kanté,…, SBM participait à l’élaboration et la diffusion de l’organe du parti l’Abeille, puis le Bulletin du Peuple. On lui doit le rappel de la célèbre phrase « le poisson pourrit par la tête » lors d’une conférence en présence des autorités. A l’époque, on avait admiré son audace. Il a été parmi les premiers acteurs et artisans de la chute de la dictature du Général Moussa Traoré en 1991. Depuis lors, il n’a jamais accepté que l’histoire du Mali s’écrive sans lui.
Au lendemain de mars 1991, au moment de la transition, il a été nommé conseiller spécial du président du CTSP Amadou Toumani Touré. En 1992, après la victoire de l’Alliance pour la Démocratie au Mali – Parti Africain Pour la Solidarité et la Justice (ADEMA-PASJ) dont une des composantes était le PMT, SBM a été nommé à la Sécurité d’Etat (SE). Certainement sa vie de militant clandestin et son métier de journaliste l’ont conduit à accepter cette responsabilité. Il a vite compris que c’était un poste stratégique. En effet, il y restera longtemps ; ce qui lui a permis de tisser plusieurs réseaux aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Mais cette position lui a valu et lui vaut encore beaucoup d’inimitiés. Il a su exploiter les informations de première main de ces réseaux, pour anticiper les actions à entreprendre. Il a été et est encore par ce biais, toujours au fait du pouls social et politique du pays. SBM est rarement surpris par les évènements qui se passent dans le pays. C’est le genre d’homme dont on dit : « il vaut mieux qu’il soit avec vous que contre vous. » Il n’est donc pas étonnant que IBK lui confie le pilotage d’un gouvernement pour préparer sa réélection à la présidentielle de 2018. Pour ceux qui connaissent l’histoire de France, on ne pourrait rapprocher son parcours qu’à celui de cet homme d’État et diplomate français, des 18è et 19è siècles, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), communément nommé Talleyrand, qui a su se rendre indispensable de 1789 à 1836 c’est-à-dire pendant 47 ans à travers tous les régimes de ces époques : révolution française de 1789, période napoléonienne, première et deuxième restaurations avec quelques brefs moments de disgrâce. En se rendant indispensable à tous les pouvoirs issus de l’ère démocratique, du président du CTSP Amadou Toumani Touré au président Ibrahim Keïta, SBM a aussi occupé un poste de responsabilité sans discontinuer depuis 1992, c’est-à-dire depuis 28 ans, avec une interruption en 2012, après le putsch du capitaine-général où il fut même interné pendant quelques semaines en même temps que certains membres du dernier gouvernement de ATT. Il prendra sa revanche sur le capitaine-général Amadou Haya Sanogo et sa bande en les mettant en état d’arrestation quelques mois plus tard le 27 novembre 2013 après sa nomination comme ministre de la défense dans le premier gouvernement IBK du 08 septembre 2013. Action saluée et illustrée à l’époque par Laji Burama par une de ses formules choc, lapidaires et bien séantes dont lui seul a le secret : « Kati ne fera plus peur à Koulouba » !
SBM est, avec son patron IBK, l’homme qui a eu une vie politique continue depuis 1992. C’est pourquoi dans certains milieux, on n’hésite pas à le qualifier de Talleyrand malien de la 3ème République. A la différence du président IBK, il n’a pas été victime d’une traversée de désert significative. En rupture de ban avec l’ADEMA – PASJ dont il a été membre fondateur, il a créé son propre parti : l’Alliance pour la Solidarité au Mali – Convergence des Forces Patriotiques (ASMA-CFP). Comme Talleyrand, SBM est soit craint et détesté soit adulé. Le président le sait bien. En acceptant ce poste de premier ministre, SBM aurait-il mis une croix sur son ambition présidentielle, ou aurait-il conclu un deal avec IBK, deal qui consiste de sa part à accompagner IBK à obtenir son dernier mandat et qu’en retour, que ce dernier lui renvoie l’ascenseur en 2023 ? Ou lorsque les campagnes vont commencer, se ralliera-t-il au candidat le plus à même d’occuper Koulouba ? Ce sont là des questions auxquelles seul Boubèye pourrait répondre. Dans les deux cas de figure, il a la latitude de rebondir. Après tout, pour la plupart des hommes politiques : «En politique, il n’y a pas de convictions, il n’y a que des circonstances. » (Talleyrand).
Si l’intelligence en politique consiste en la capacité de l’individu à s’adapter à son milieu politique et social, alors on pourrait sans doute affirmer que SBM, le Talleyrand malien de la 3ème République est intelligent.
. Hamidou Ongoïba
(Delta News N°173 du 10 janvier 2018)