Au Mali, les élites conjuguent les verbes au passé.
A écouter les débats politiques et même des débats sur les faits de société, le passé revient inlassablement. On aime les commémorations, on a du plaisir à rappeler les faits historiques, notamment les hauts faits d’armes, les vertus et la sagesse supposés ou réels des aïeux. On utilise le plus souvent les termes « autrefois, au temps de, pendant la première république, etc. » Dans leurs différentes interventions, presque sur tous les sujets, la plupart des maliens trouvent toujours que le passé était meilleur au présent. On remarquera par exemple à écouter les interviews des commerçants à l’approche des fêtes, qu’il y a très peu d’entre eux, qui vous diront que cette année les affaires marchent mieux que l’année dernière ; il en est de même de leurs clients qui trouvent toujours que l’année d’avant les articles étaient moins onéreux.
Cette attitude psychologique qui consiste à vouloir toujours magnifier le passé même anecdotique, au lieu d’analyser le présent et de se projeter dans l’avenir se retrouve particulièrement chez les élites. Qui ne se rappelle pas de la célèbre boutade du défunt président IBK : « Nous fûmes quand certains n’y étaient pas ! » On ressasse à volonté, les résistances à la pénétration coloniale de nos aïeux – Cela peut galvaniser un certain temps, une partie de la population, mais cela ne peut en aucun cas résoudre les problèmes actuels de notre pays, qui sont d’une autre nature et dans un monde qui est en perpétuel mouvement. C’est pourquoi, la question de savoir par exemple, pourquoi nous ne sommes pas parvenus à vaincre l’envahisseur colonial est à nos yeux, plus importante aujourd’hui que la glorification de notre passé. En effet, elle nous permettra d’analyser les causes de notre échec face à l’envahisseur colonial, afin d’éviter que l’histoire se répète. En consacrant tout le temps sur les heurs de nos sociétés tout en occultant ses malheurs, les maliens restent nostalgiques du passé, souvent édulcoré par des « maîtres de la parole » qui ont joué et qui continuent de jouer un grand rôle dans notre société. Malheureusement, les élites, qu’elles se prétendent laïques ou religieuses se prêtent à ce jeu de sacralisation du passé. Ce qui indique qu’elles sont déçues du présent et qu’elles le fuient et pire, elles sont tétanisées, incapables de se projeter dans l’avenir. C’est pourquoi, nous disons qu’elles conjuguent toujours les verbes au passé. Leur attitude devrait être : analyser froidement nos problèmes actuels et de proposer des solutions, c’est dire qu’elles devraient plutôt conjuguer les verbes au présent et au futur. Le seul gouvernement qui avait eu la prétention de le faire était l’éphémère gouvernement d’Omar Tatam LY qui avait en son sein, un ministère du plan et de la prospective.
Certes, nous ne pourrions dire comme l’ouvrier, chansonnier et communard français Eugène Pottier qui a écrit dans « L’Internationale » : « Du passé faisons table rase », mais, vouloir nous maintenir dans la nostalgie, nous conduira indubitablement à une inhibition de la pensée donc à une déficience de projets par conséquent à l’inaction.
Alors, si nous « fûmes », faisons en sorte que nous « sommes » et que demain nous « serons » !
…sans rancune
Wamseru A. Asama