La mue de la diplomatie malienne
En dehors de certains pays, où le chef de l’état n’est pas chef de l’exécutif, de tous temps, et sous tous les cieux, la diplomatie a été et demeure le domaine réservé au chef de l’état : président, roi ou reine, émir etc. C’est pourquoi, l’aura de la diplomatie d’un pays est en forte corrélation avec celle de son chef d’état. C’est dire que pour un pays donné, sans occulter la compétence individuelle du ministre chargé des relations extérieures, le dynamisme d’une diplomatie dépend en grande partie de la personnalité du chef de l’état. En plus de la personnalité du chef de l’état, il faudrait qu’il existe autour de lui, une équipe homogène partageant une vision commune, ce qui nécessite la théorisation de l’action gouvernementale et l’indication de la direction à suivre. Il a existé plusieurs exemples de diplomaties et ministres brillants à travers le monde qui corroborent notre assertion et qu’il serait inutile de citer ici.
Dans un pays donné, des changements à la tête de l’état, provoquent parfois de véritables tsunamis diplomatiques. C’est le cas au Mali depuis mai 2021. Ainsi, on ne reconnaît plus le ministre des affaires étrangères de feu Président Ibrahim Boubacar Keïta, Abdoulaye Diop, l’homme qui, en 2015 a conduit les négociations avec les rebelles du nord, pour aboutir à des Accords dits d’Alger qui font encore polémiques et dont l’application pose problème. Aujourd’hui, l’homme impressionne, séduit. Il est sûr de lui. Comment expliquer cette mue ? Notons qu’entre-temps, il avait été remercié par feu IBK en 2017. Il a accumulé assez d’expériences en tant qu’Ambassadeur du Mali auprès des Nations Unies. Il a mûri. Mais cette maturité et ces expériences acquises auprès de l’ONU suffisent-elles à expliquer sa transmutation ? Non, la mue du ministre Diop ne pourrait s’expliquer que par le nouvel environnement gouvernemental au sein duquel il évolue et qui lui permet de s’épanouir et de faire valoir ses compétences sans aucune pression, en symbiose avec son chef.
En effet, la rectification de la Transition intervenue le 21 mai 2021 a amené une véritable transmutation de la diplomatie malienne. Les cinq colonels en déposant le président de transition Bah DAO et son premier ministre Moctar OUANE moins d’un an après leur nomination avaient certainement en tête l’adage qui dit : « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! » Ils ont compris que les hommes qu’ils ont placés là, après avoir déposé le président IBK, poursuivaient la même politique que lui, aussi bien dans la gouvernance interne et même moins bien que lui, dans le domaine des relations internationales, notamment les rapports avec l’ancienne puissance coloniale. Tirant les leçons de leurs erreurs, ils ont vite fait de se mettre en première ligne tout en s’alliant au regroupement politique hétéroclite, le Mouvement du 5 juin- Regroupement des Forces Patriotiques (M 5- RFP) qui a été en réalité le principal acteur de la déstabilisation du régime défunt. Ils ont eu la main heureuse en désignant le Dr Choguel Kokalla Maïga à la primature : un homme, certes controversé, mais fin politique et courageux. Moins de trois mois après la mise en place du nouveau gouvernement, le 21 septembre 2021 du haut de la tribune des nations unies, le premier ministre a asséné un véritable camouflet à la France. En effet, pour dire que la France a décidé unilatéralement de dégager la force Barkhane du Mali arguant que le Mali a fait appel à la société russe Wagner, le premier ministre utilisera l’expression « abandon en plein vol », expression qui fera florès dans les milieux politique et journalistique. Ce sera le point de départ de la naissance d’un fossé entre Bamako et Paris, fossé dont on ne perçoit pas pour le moment son rétrécissement, à fortiori son remblai. La récente lettre du ministre Diop à l’ONU récusant désormais à la France le rôle de plume du Mali, rôle qu’elle assumait depuis décembre 2012 en est une preuve de plus.
. La multiplicité des actes de souveraineté posés par le gouvernement : coopération accrue avec la Russie, expulsions de diplomates, dénonciation des accords militaires avec la France, limitation des mouvements de la MINUSMA etc. a conduit à la nécessité de leur conceptualisation. C’est pourquoi, dans son adresse à la nation du 22 septembre 2022, s’agissant des relations du Mali avec les autres pays, le Colonel Assimi GOÏTA, Chef de l’État a déclaré : « Notre pays est soucieux de raffermir ses relations avec tous les autres pays et de participer activement à la vie internationale. Cependant, il est important que nos partenaires comprennent que les relations avec notre État doivent être désormais fondées sur les trois principes suivants : le respect de la souveraineté du Mali ; le respect des choix stratégiques opérés par le Mali ; la défense des intérêts du peuple malien dans les prises de décisions. »Et, deux jours après, le 24 septembre 2022 dans son désormais mémorable discours à la tribune des Nations Unies, le Colonel Abdoulaye Maïga, Premier Ministre par intérim a clamé ces trois principes qui guident dorénavant les relations du Mali avec les autres pays. Aujourd’hui tous les ministres et particulièrement celui des Affaires Etrangères en ont fait leur bréviaire. Ce qui donne à l’équipe gouvernementale une image de cohérence, de solidarité, de compétence et de réussite pour tous, voilant ainsi les carences de « ses moutons noirs ». Cette dissimulation n’est pas une bonne chose pour le pays, si l’on s’en tient au conseil du garagiste qui demande à son client de changer la (les) pièce(s) défectueuse(s) d’un véhicule avant de reprendre la route.
En effet, autant la diplomatie malienne est brillante, convaincante et inspire du respect, autant il existe des départements qui ressemblent plutôt à des boulets qui décélèrent, arrêtent, voire rétrogradent la marche en avant de l’équipe : ce sont les pièces défectueuses. Ne serait-il pas sage de suivre les conseils du garagiste ?
…sans rancune
Wamseru A. Asama