Nous sommes interpellés par un débat malsain et inapproprié qui se déroule actuellement sur les réseaux sociaux depuis que le Mali a décidé de diversifier sa coopération militaire avec les paramilitaires Russes. L’annonce par Reuters le 13 septembre 2021, de l’arrivée du groupe « Wagner » au Mali a suscité une fièvre diplomatique d’instrumentalisation et d’injonction dont la réponse se trouve au cœur d’une contradiction de la politique hasardeuse française dans sa lutte anti-terroriste. Tout porte à croire que la hantise s’est emparée des dirigeants français qui sont
brutalement surpris et déstabilisés par la résistance nationale du peuple malien contre l’occupation de la force Barkhane. La panique a gagné la classe dirigeante française au point de faire déplacer la peur jusqu’au centre de décision de l’Élysée. Quant aux maliens eux-mêmes ils n’ont jamais été aussi divisés par manque de patriotisme et de
jugement face à une cause commune, celle de défendre la libération du Mali.
Deux opinions s’affrontent à cet effet. Celles qui préconisent de s’appuyer sur nos propres forces et celles qui sont favorables à un partenariat efficace. Tous ces arguments sont utiles, mais c’est la stratégie qui les distingue, car tous semblent s’appuyer sur l’argument du patriotisme de façon différente. Comme effet de leur argumentation,
certains ont plus de compassion que d’autres face à l’horreur et le drame subis quotidiennement par nos populations civiles qui sont massacrées et forcées d’abandonner leurs villages sans pouvoir bénéficier du mandat de protection de la MUNISMA, sans parler des greniers brûlés par les terroristes et djihadistes, du bétail emporté. Cette tragédie d’expulsion des populations civiles noires, ne favorise-t-elle pas les conditions de création d’un État « AZAWAD » où les résidents seront méthodiquement sélectionnés en fonction de leur race et couleur? Les maliens qui s’opposent à l’arrivée des paramilitaires Russes, invoquent la nécessité impérieuse de
faire libérer le Mali en s’appuyant uniquement sur nos forces armées. L’argument est séduisant et fait rêver, mais ne prend pas en considération l’ampleur de la souffrance imposée à nos populations civiles. La proposition se défend bien dans le contexte normal d’une armée malienne opérationnelle et dotée des moyens logistiques
conséquents, non soumise à un embargo sur l’acquisition des armes. Quelle que soit la volonté et la détermination de notre armée à accomplir la mission de la guerre contre les terroristes, il n’existe pas de tactique sans logistique. Nos populations persécutées n’aspirent qu’à une seule chose : « que les autorités maliennes négocient même avec le
diable si c’est pour préserver des vies humaines qui n’ont pas de prix, et quel que soit le montant qui sera versé au groupe « Wagner ». Le raisonnement logique devrait nous conduire vers cette réalité qui représente un dilemme pour les dirigeants français qui considèrent que « la présence du groupe « Wagner » au Mali est inconciliable avec
l’engagement et la présence des forces françaises. Peuvent-ils nous expliquer comment ils ont réussi à concilier la présence des forces françaises en Afghanistan avec le déploiement de la société militaire privée américaine Blackwater?
Quel est le pays de l’Union-Européenne qui a eu le courage de dénoncer la présence de ces paramilitaires américains en Afghanistan ? Un rappel historique des opérations militaires françaises nous édifiera : les forces armées françaises sont intervenues en Afghanistan dans deux opérations distinctes depuis le 2 janvier 2002. « Les premiers
soldats français de la force internationale en Afghanistan arrivent au nord de Kaboul soit un total de 640 militaires français qui sont déployés, dont 400 dans le cadre de l’Isaf. Il est à noter que les marsouins du 21e RIMA furent les premières troupes françaises à fouler le sol Afghan dès le 15 novembre 2001, à Mazar-E-Sharif ». En 2011 et 2012, la
décision de retrait des troupes a été annoncée de façon graduelle. Le contingent français dont l’effectif était de 3600 militaires au début, en janvier 2012, a été réduit à 1 400 militaires fin 2012. À la fin de janvier 2014, le nombre de militaires français sur zone se situait entre 300 et 400 dont 205 au service de l’OTAN. À la fin de l’année, il ne
restait plus que 150 personnes ». Paradoxalement, leur présence et engagement avec le déploiement au Mali de « Wagner » sont irréconciliables. Cependant, ils étaient confortables avec la présence des paramilitaires américains « Blackwater » en Afghanistan.
Rappelons que dans le cas en espèce, Il leur appartient d’assumer honorablement cette décision d’incompatibilité ». Il faut que ce soit clair que le Mali n’est pas une chasse gardée exclusive à un partenariat de monopole. Toute autre
proposition relève de la diversion qui n’engagera pas le peuple malien. L’Élysée ne peut pas non plus s’appuyer sur l’accord de coopération militaire Franco-malienne qui est devenue caduque depuis la suspension unilatérale de ce document par les autorités Françaises, en violation de la procédure stipulée à cet effet. Nous devons aussi savoir que la fonction militaire a évolué avec l’émergence des terroristes et djihadistes sur le théâtre des hostilités. Face aux questions insurrectionnelles de ces groupes, les États ont adapté leurs réponses par l’utilisation des sociétés privées paramilitaires qui sont devenues des acteurs incontournables d’une véritable institution de guerre. Cette
institution répond également à une demande de marché économique pour les États. Ces sociétés privées n’ont pas d’existence légale, à cause du flou juridique et la nature de leurs activités qui peut être qualifiée de « mercenariat » à tort ou à raison. Toutefois, ces sociétés contractent de façon régulière avec les États qui retiennent leurs services.
Plusieurs pays ont eu recours à leurs services y compris la France. Notre recherche dans Wikipédia indique que la France possède la Légion étrangère qui est un corps de l’armée de terre française, c’est-à-dire une unité combattante qui intervient partout dans le monde. Depuis sa création de 1831 à 1961, son effectif était d’environ plus ou moins
600.000 soldats de plusieurs nationalités. Parmi les sociétés privées françaises répertoriées, il y’a KB Corporation, créée en 2015 et reconvertie en SMP (2016) spécialisée dans la vente d’armes, de munitions et d’équipements militaires. Il y’a aussi AEneas Groupe, fondé en 2004, qui intervient dans des activités de conseil, sécurité, protection et formation. Il y’a également Anticip, qui intervient dans des missions de terrain en environnement hostile et en zone de guerre, gestion de crise, protection physique de personnes, escorte armée, protection de sites, déploiement en zone hostile. Nous avons également consulté des archives qui révèlent « qu’en 1966, Jacques
Foccart sort du bureau du Général De Gaule et la décision est prise : la France va soutenir le rebelle Emaka Ojukwu, gouverneur de la région de l’Est. La France décide de financer l’opération, fournit des armes via la Côte d’Ivoire et le Gabon, met des mercenaires de Bob Denard et les paras du 1er REP à la disposition de l’armée rebelle
Biafraise dirigée par Ojukwu. Celui-ci déclenche une rébellion et refuse de reconnaître l’autorité du général Yakubu Gowon, le président légitime du Nigéria. Le général Gowon a déclaré « oïl is for all Nigérians and for all the Nation » La convoitise des ressources naturelles était la cause de ce conflit et le soutien à Ojukwu. ». Les mercenaires de
Bob Denard n’ont pas résisté devant la puissance de feu des NAF, malgré des renforts de légionnaires français venus de la Guyanne, du Gabon, de la Côte-d’Ivoire. Sous le commandement de Yakubu Gowon, les bataillons de Yaradua, de Ipoola, et Ted font tomber le Quartier Général du rebelle Ojukwu situé dans la ville de Umuahia le 22 avril
1969. Le coût du drame humain de ce conflit fut élevé parmi la population civile, soit 2 millions de morts, 5 millions de déplacés et plus de 3 millions de réfugiés. « Beaucoup d’exactions et de violations des droits humains auraient été commises ». Les sociétés pétrolières étrangères décidèrent de traiter directement avec la province
sécessionniste du Biafra. Ce scénario ressemble à celui concocté dans la crise malienne. Si à Paris on considère les Paramilitaires Russes de mercenaires, alors leur utilisation au Mali ne sera pas différente de l’utilisation des mercenaires de Bob Denard dans la guerre de rébellion du Biafra. Ce phénomène n’a rien de surprenant. Les manœuvres de
propagande contre « Wagner », relèvent d’une stratégie de communication malveillante et de désespoir qui vise à discréditer et à faire peur à l’opinion publique malienne. La révolution du peuple malien est en marche et rien ne pourra arrêter notre aspiration à la liberté totale, un droit inaliénable. Que les maliens se détrompent, «
Wagner » n’est pas un sauveur, il viendra au Mali pour appuyer l’armée malienne dans sa stratégie opérationnelle de lutte contre les terroristes, pour remédier à l’échec des forces françaises après huit (8) ans d’impasse et d’inefficacité. Il appartiendra désormais aux forces armées maliennes de récupérer souverainement l’effectivité de la conduite
des opérations militaires sans recevoir des instructions de nulle part. Cette coopération avec « Wagner » est une étape nécessaire et décisive pour contrebalancer les actions des ennemis et les interventions de sabotage des FAMA’s sur le terrain militaire. Cette douloureuse expérience au Mali, d’une crise multidimensionnelle, a eu l’avantage de
permettre au peuple malien d’identifier ses vrais partenaires, ceux qui ne sont pas dans la duplicité et l’opacité. De 1960 à 1968, le gouvernement de Modibo Kéita avait entretenu un excellent partenariat « gagnant-gagnant » sans velléité de soupçon d’une quelconque prédation avec l’Union Soviétique (actuelle Fédération de la Russie), dans
tous les secteurs de l’activité économique. Le bilan positif de cette coopération dynamique avait permis au Mali de se développer et de hisser l’armée malienne au rang d’une puissance sous-régionale. D’autre part il faut reconnaître que le groupe « Wagner » a fait ses preuves d’efficacité en Syrie, en Libye, en Centrafrique, au Venezuela, au
Soudan, à Madagascar, au Mozambique, et en Ukraine. Le groupe « Wagner » se distingue des autres forces par sa capacité d’intervention pour appuyer l’armée malienne à sortir du chaos au nord et au centre du pays. Il fera bénéficier à l’armée malienne, sa solide expérience professionnelle. Contrairement à la campagne de
propagande, le groupe « Wagner » est composé de paramilitaires chevronnés qui ont démontré leur connaissance du droit humanitaire international, leur expertise dans le mode de déploiement des opérations de combat, leur expérience des règles d’engagement. Quant aux forces militaires françaises elles ont atteint leur limite
opérationnelle au Mali. Même la promesse d’engagement d’un nouvel dispositif de Mme Florence Parly n’est que mirage et diversion. Derrière son langage contradictoire, se cache la volonté de chercher à tout prix la compassion du peuple malien afin de permettre à la France de ne pas perdre son influence au Mali et en Afrique, et aussi de
redorer l’image d’une humiliation historique qui découle de l’échec de sa mission au Mali. L’imprévisibilité et l’incohérence de la politique française au Mali ne pouvaient pas anticiper sur la révolution populaire du peuple malien dont les signes précurseurs étaient pourtant visibles et audibles. La France s’acharne à maintenir avec le Mali, une
coopération caduque et dépourvue de confiance. En plus s’ajoute son dédain à empêcher le Mali (un pays souverain) à choisir librement un autre partenaire. Il s’agit d’un paternalisme qui ressemble à un aveu d’hostilité empreint de mépris et de violence d’une autre époque, qui dépasse le bon sens et les principes universels reconnus en
matière de relations internationales.
Conclusion : La France utilise des sociétés privées militaires comme plusieurs autres pays qui ne sont pas cités dans notre texte. La campagne médiatique actuelle de propagande vise à discréditer les paramilitaires Russes en les accusant d’être des mercenaires, mais aussi pour faire peur à l’opinion publique malienne. Une réflexion
s’impose sur le fait qu’un État quelconque, recrute et finance des terroristes, est qualifiable d’acte de complicité, d’association avec des malfaiteurs et de criminalité d’État, une infraction pénale visant l’utilisation de terroristes assimilés aux mercenaires pour semer la terreur. Ce qui est différent de la conclusion d’un contrat avec une société
militaire privée comme « Wagner » ayant une vocation de protection et de formation. Le gouvernement malien doit demander aux Nations-Unies de désigner un expert indépendant pour enquêter sur les sources de financement des terroristes du Mali afin que des responsabilités soient établies et punies. Jean Luc Mélenchon, qui est une
référence fiable, avait déjà posé cette question au cours d’une de ses interventions au sujet des terroristes dans la crise malienne. Qui finance et qui fournit la logistique ?
L’intervention du groupe « Wagner » permettra de sonner le déclin d’une tutelle et d’un paternalisme qui a atteint son apogée. A l’issue de l’épisode malien, l’opinion publique sera surprise de connaître les coulisses et les révélations d’une vérité secrètement entretenue dans la crise malienne. Pour le peuple malien, la question n’est plus de
rompre la coopération militaire avec la France et exiger le départ de Barkhane, mais de s’affranchir de l’esprit de servitude et de soumission. Le peuple malien ne fléchira pas devant les menaces de la CEDEAO et la réprobation du MNLA-CMA et il exercera son droit à écrire une nouvelle page de son histoire par la reconquête de sa liberté et de
l’intégralité de son territoire. Par ailleurs, le peuple malien et ses représentants décideront en toute liberté du choix des partenaires avec qui ils souhaitent coopérer dans l’avenir. Dans les circonstances, l’heure est grave et l’enjeu interpelle tous les fils du pays. Il est donc important que tous les patriotes maliens de l’intérieur aussi bien
que de l’extérieur, retrouvent l’union sacrée autour de la cause nationale, quel que soi leur divergence idéologique ou toute autre considération secondaire. Il s’agit de notre dignité et de notre honneur. De plus, prenons conscience des appuis de sympathies indéfectibles et des encouragements dont nous bénéficions de la part des autres frères
africains à travers le continent. Cette révolution malienne a déjà fait un large écho, traduisant notre action en responsabilité pour les autres africains dont la liberté est encore aliénée. Le paradigme malien constituera le laboratoire pour la construction d’un véritable Panafricanisme et l’émergence d’une nouvelle prise de conscience en matière de coopération fondée sur la sincérité, la loyauté et la moralité.
Boubacar TOURÉ, juriste, Montréal, Canada