Signification des noms et prénoms des personnages dans Un poste braisé d’Issiaka Sidibé
Le personnage est un individu qui joue un rôle dans un récit ou une pièce de théâtre. De nombreux théoriciens s’y intéressent. Vladimir Propp s’identifie par sa célèbre classification des individus qui dominent le conte. Dans le même sens, Algirdas JulienGreimas étudie le rôle du personnage en développant la notion du schéma actanciel. Philippe Hamon, quant à lui, s’accroche au statut sémiologique. Vincent Jouve s’appuie sur l’effet du personnage. Tous ces théoriciens semblent pourtant mettre un peu à l’écart un aspect très important relatif au personnage : la signification de son nom. Cette portée onomastique sera l’objet de cet article.
« Un poste braisé » est une pièce de théâtre d’Issiaka Sidibé publiée en 2022 chez Figuira éditions. Écrit en français simple, la pièce est repartie en trois actes. Chaque acte est constitué de deux scènes. Comme toute pièce de théâtre, le dialogisme externe (dialogue) reflète le rôle joué par les personnages qui sont entre autres : Yoro, Gafou, Fifi, Lassi, Guindo, Salim, Léon, Larabi ; Farima, Morikè, Koutiguè, Bagayoko, Sitan, Ali, Samou, John, Lazare, Koumbati, Lamine, Samba, Karaba, Thom, Gérard et Sabine. Chacun de ses noms et prénoms ont une signification que nous allons tenter d’éclaircir.
D’abord, dans « Un poste braisé », les noms de plusieurs personnages proviennent de l’arabe. C’est le cas de Sitan, Farima, Fifi, Ali et Lamine. Tout comme « Aicha », « Aiché », « Shasha », « Chata », le prénom « Sitan » provient de « Aissata / Aïchata » qui signifie en arabe « la vie, la vitalité, la grâce ». Quant à « Farima » et « Fifi », de même que « Fanta », « Fati », « Fatou », « Fatouma » sont toutes les dérivés de « Fatoumata ». Ce prénom est issu de « Fatima », une identité d’origine arabe qui remonte à la fille du prophète Mahomet. Il signifie « l’enfant qui vient d’être sevré » ou encore « celle qui s’abstient ». Ali aussi est un prénom arabe qui a trait à l’élévation (progression, noblesse). Il désigne « l’élevé, le haut ». Le sens positif est également attribué à « Lamine » autrement prononcé « Liamine », c’est-à-dire le « loyal ».
Ensuite, il y a des noms et prénoms d’origine malienne allant de la langue soninké à la langue dogon, passant par le bamanankan et le peulh. Bagayoko est un nom de famille malien. Il tient sa provenance des soninkés. Il vient de « Baga-yigo » qui se traduit par « l’homme qui porte l’indigo bleu ». Mais « Morikè » est un prénom masculin bamanan, qui est formé à partir de « Mori » qui veut dire « marabout » et de « Kè » un morphème relatif à la marque de la masculinité ; donc « le marabout ». Quant à « Koutiguè », il a aussi une signification en bamanankan. Il est dérivé de « Kou » (la queue) et de « Tiguè » (qui coupe) pour dire en traduction littérale « celui qui coupe la queue » ou en traduction littéraire « le malfaiteur, le tueur ». Dans la pièce, ce prénom est donné à un individu dangereux qui pratique le fétichisme. Par ailleurs, « Yoro » est un prénom d’origine peulh. Il est généralement attribué au quatrième garçon. Donc Yoro signifie le « quatrième fils ». À titre de rappel, chez les peulhs, il y a des prénoms qui ont trait à la chronologie : Hamady (premier garçon), Samba (deuxième garçon), Demba (troisième garçon), Yero / Yoro (quatrième garçon). D’autres chercheurs remontent l’origine de « Yoro » à la société japonaise où son sens est : « avoir confiance ». Le nom de famille « Guindo » vient du lexique « Ginédô » qu’on peut décomposer en deux morphèmes : « Giné = maison » et « dô = arrivée » qui sous-entend « bienvenue ». Cette formule leur aurait été adressée par leurs frères qui leur ont souhaité la bienvenue après leur arrivée du Mandé.
En plus, l’auteur choisit des noms d’origine hébreu (Awa, Lazare, John). Gafou est une appellation affective de « Awa ». Cette dernière est un prénom féminin qui renvoie à « Eve », la première femme créee par Dieu selon les textes sacrés. « Dérivé de l’hébreu « Hawwa », le prénom Awa se traduit par « source de vie » ». Lazare, qui est l’abrégé « d’Éléazar », a un sens qui valide la gloire de Dieu. Sa traduction est : « Dieu est celui qui secourt » ou « Dieu a aidé ». Il tient son origine à l’hébreu « El’azar ». D’après le dictionnaire biblique, il est le « Frère de Marthe et de Marie, que Jésus ressuscita ». Pour la signification de « John », le Journal Le Figaro précise dans un article qu’il « est dérivé des termes hébraïques « yo » et « hânan » qui signifient « Dieu est miséricordieux ». »
Enfin, les prénoms d’origine anglaise et germaine sont mis en valeur. Thom est d’origine anglaise, il signifie « Jumeau ». « Gérard » vient du germain « ger » qui veut dire « lance, pique », et de « hard » qui désigne « puissant ». De « Gérard » découlent Gerhardt, Gérardin, Garret, Girard. Les autres prénoms (Salim, Léon, Larabi, Samou, Koumbati, Samba, Karaba et Sabine) ont tous une signification et peuvent faire l’objet de nombreuses recherches.
Selon le constat, les noms et prénoms choisis par l’auteur ont majoritairement une connotation positive. Mais un rôle positif les est-il confié dans la pièce ? Loin de là, certains ont des rôles positifs, d’autres des rôles négatifs. Telle est la nature humaine d’aujourd’hui. Le comportement des hommes ne reflètent pas leurs identités. Cela est une manière pour Issiaka d’accentuer le réalisme dans vie sociale. Le choix des noms et prénoms arabes, maliens, hébreux, anglais et germain expriment l’aspect interculturel du texte. Il témoigne le métissage culturel au Mali et surtout la vulgarisation de la mondialisation dans les quatre coins du monde. Un nom d’origine malienne peut se retrouver en France, aux États-Unis, en Chine et vice-versa. Ainsi, de nos jours, avec le transfert culturel, l’hybridation et la crise identitaire le nom ou le prénom n’est plus un phénomène irréfutable pour désigner telle où telle culture, telle ou telle société.
Pour conclure, nous pouvons dire que s’il est important d’étudier le personnage, il est d’autant plus pertinent d’analyser la signification de leurs noms. Ainsi, cet article nous a permis de savoir les significations et les provenances des noms choisis par Issiaka Sidibé dans « Un poste braisé ».
Modibo Ibrahima KANFO
NB – Signification : Modibo (Enseignant) / Ibrahima (Père d’une multitude de nations) / KANFO (Possesseur de la plume unique).