De la mort chez Ousmane Thiény à la mort de Ousmane Thiény.
La mort est un sujet complexe et mystique. Sachant qu’il fut traité par Montaigne, Pierre de Ronsard, André Chénier, Jacques-Bénigne Bossuet, André Malraux, Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Charles Baudelaire, Marcel Proust, Alfred Jarry, Jean d’Ormesson, pour ne citer que ceux-là, on est libre de croire que c’est dans la littérature française qu’elle trouve son confort. Mais loin s’en faut. Les littératures égyptienne, grecque, asiatique et américaine l’ont tous magnifiée. La littérature malienne qui brille de toutes les couleurs, n’aurait rien à envier à toutes ces littératures car depuis très longtemps, la mort, parmi tant d’autres sujets, réussit à s’y faire une place. Ousmane Thiény, à la différence de beaucoup d’écrivains maliens, lui consacre d’ailleurs un livre entier qui s’intitule Allers simples pour Ségou.
Allers simples pour Ségou est un recueil contenant huit (8) nouvelles non titrées de taille inégale. Le titre, qui à première vue, peut s’interpréter comme un voyage pour la ville de Ségou, est métaphorique. Il est inspiré de la chanson de l’artiste malien Super Biton qui laisse entendre ceci dans un de ses morceaux musicaux : « les individus peuvent se devancer à Ségou, mais personne ne restera sans y aller ». Dans sa métaphore, « Ségou » signifie « l’au-delà », ce qui sous-entend que « Allers simples pour Ségou » peut avoir le sens de : « mourir simplement » ou encore « mourir seulement ». Cette mort dont il est question, l’auteur l’aborde sous différents angles de vision : la mort comme le résultat d’un meurtre, la mort comme un phénomène brutal et l’après mort.
D’abord, la mort comme le résultat d’un meurtre est identifiable dans deux nouvelles. D’une part, la nouvelle qui débute le recueil. Cette dernière narre l’histoire de Sounty qui enceinta la sœur cadette de sa femme puis lui proposa un avortement. Face au refus catégorique de la jeune fille, Sounty ne fit recours à autre solution que de la tuer (premier meurtre) et, par conséquent, se retrouver en prison. Après sa libération, il rentra chez lui, à Kita, où il trouva que sa femme, qui ne l’a jamais pardonné, vit en couple avec son intime ami. Il se résolut de tuer ce dernier aussi par jalousie. Sa femme Saran s’y opposa et l’envoya au « pays des os blancs » (deuxième meurtre) : « […] Saran se saisit du pot de fleurs. Elle frappa à la tête […] Du sang se mit à couler de sa nuque éclatée, comme d’un animal égorgé » (p. 20). D’autre part, la nouvelle qui porte sur l’histoire d’Amatigué aussi présente la mort comme phénomène lié au meurtre. En effet, Amatigué est un garçon mal éduqué qui s’adonne au vol, en famille et plus tard dans la société. Un jour, il est arrêté, tabassé et assassiné. Sa mère qui était sur les lieux fut à son tour brutalisée et violée : « Sur le sol, gisait un corps calciné que des jeunes gens prenaient un malin plaisir à tourner et retourner tandis que d’autres attisaient les flammes avec de l’essence qu’ils versaient dessus de temps à autre » (p. 82).
Ensuite, la mort comme un phénomène brutal se manifeste dans quatre nouvelles. Premièrement, cette brutalité se dessine dans le récit portant sur les deux étudiants en droit en partance à l’université pour les cours. Il s’agit de Hanta Diarra et de sa copine Massitan Touré. Pour éviter le retard, Hanta, qui conduisait la moto, roulait à tombeau ouvert. Ils eurent brutalement un grave accident en cours de route qui coûta la vie à Hanta. Or ce dernier, en quittant la maison, prit le soin de dire ceci à sa mère : « Maman, garde-moi mon morceau de pain. Je le mangerai le soir. » p. 24. Deuxièmement, la brutalité de la mort est représentée dans la nouvelle qui relate les faits concernant « le Grin dit Les Amis du carrefour ». Ce grin unissaient des amis qui s’entendaient, se taquinaient et se faisaient beaucoup de plaisir. Un crépuscule, après avoir raconté une histoire comique qui fit rire tout le monde, Alasso meurt brutalement le lendemain matin vers huit (8) heures. Troisièmement, Ousmane Thiény souligne la brutalité de la mort dans l’histoire du « combat féminin d’Agna ». Cette dernière meurt lors de son accouchement. Son mari qui, au départ, s’attendait à une joie immense par l’arrivée d’un nouveau bébé, se retrouva enfin avec deux cadavres (sa femme et le nouveau-né).
Enfin, l’après mort est bien schématisé dans la quatrième nouvelle relatant les aventures de Samballa, le don juan qui ne cessait de se servir des filles de Bamako. Un soir, à l’occasion de la fête de Noël, il fit la connaissance d’une fille (Inna) avec qui il sortit pour fréquenter toutes les boîtes de renommée de Bamako. Après ces moments de divertissement, ils rentrèrent chez Samballa puis couchèrent ensemble. C’est plus tard que Samballa su que Inna était un fantôme. En fait, elle était morte depuis cinq (5) ans et n’était revenue pour la première fois sur le lieu de sa mort qu’à l’occasion de la fête de Noël. Par cette même occasion, elle croisa Samballa qui l’a draguée. Cela peut s’interpréter comme si les morts reviennent tôt ou tard sur les lieux de leurs décès. Par ailleurs, cette nouvelle donne raison à Birago Diop qui dit que « les morts ne sont pas morts ».
Allers simples pour Ségou n’accentue pas que la vision de l’auteur sur la mort, elle est une œuvre qui parle aussi de sa mort. La mort fictive de Ousmane Thiény est mit en scène dans la dernière nouvelle où il succomba à une maladie de cœur à l’aube. Son corps fut découvert en premier par sa femme qui cria. Le lendemain, il fut enterré à Kita et aucun ange n’est venu l’interroger dans la tombe. Trois jours plus tard, une odeur indescriptible se dégageait de son corps tel qu’il est narré dans ces passages : « Je suis mort, ce matin, à l’aube et à l’heure de la prière […] L’enterrement a été fixé au lendemain à Kita […] On ne demande jamais rien aux morts […] Je suis mort il y a trois jours […] Une odeur indescriptible se dégage de mon corps. Bientôt je serai la proie de beaux vers luisants » (p. 98, 100,101, 107). À cette mort fictive vient s’ajouter la mort réelle de Ousmane Thiény le mardi, 17 août 2021 à 7h du matin à Bamako suite au paludisme. Il laissa derrière lui des œuvres de fiction, une œuvre didactique, des centaines d’article de presse.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’à travers Allers simples pour Ségou, Ousmane Thiény, entre tragédie et euphémisme, décrit sa mort et sa vision sur la mort. Son séjour terrestre donne raison à Malraux qui dit : « une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie ». Certes, Ousmane thiény est parti si tôt par rapport aux écrivains comme Amadou Hampâté Bâ et Victor Hugo mais durant son petit séjour, il a enrichi la littérature malienne et il a fallu qu’il vive pour l’enrichir.
Modibo Ibrahima KANFO