InternationaleLa Une

Tension entre Mali-France: la diaspora malienne entre patriotisme et craintes de mesures de rétorsion

La crise diplomatique entre Paris et Bamako « inquiète » la diaspora malienne de France
Soutien à la junte, arrivée des Russes, crainte de mesures de rétorsion… Les débats peuvent être vifs au sein de la communauté vivant dans l’Hexagone.

Si l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali a vivement fait réagir la classe politique française, elle a aussi provoqué un choc au sein de la communauté malienne de France qui vit depuis des mois au rythme de la relation houleuse entre Paris et les militaires putschistes au pouvoir à Bamako.
« Globalement, la communauté malienne est moins favorable aux autorités de transition que les Maliens vivant au pays. Dans sa grande majorité, la diaspora souhaite des relations pacifiées entre la France et le Mali », remarque Baïdy Dramé, président du Conseil supérieur de la diaspora malienne de France, une organisation qui fédère une cinquantaine d’associations. Ce qui n’empêche pas parfois de vifs débats au sein de la communauté.

La question de la présence militaire française, dont une partie des Maliens disent ne plus vouloir, divise. « Sur le fond et sur la forme, le gouvernement de transition n’a pas apprécié que l’armée française retire une partie de ses troupes sans même le prévenir et alors que les attaques terroristes se poursuivent », estime Bréhima Sidibé, président des étudiants maliens d’Ile-de-France jusqu’en janvier et actuellement en master de sciences du langage à l’université de Cergy.
« Un soutien populaire dans le pays »
Devant l’Assemblée nationale, mercredi 2 février, Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères, a réitéré ses propos sur le caractère « illégitime » de la junte malienne, terme à l’origine de l’expulsion de l’ambassadeur Joël Meyer. « Cette légitimité ne doit pas être remise en cause car les autorités de transition bénéficient d’un soutien populaire dans le pays, assure Bréhima Sidibé selon qui « les Maliens sont reconnaissants pour le déploiement de la force française mais, aujourd’hui, elle n’obtient plus de résultats satisfaisants. »
L’arrivée au Mali d’instructeurs russes est aussi vivement débattue. « La réduction des effectifs militaires français a contraint les autorités maliennes à se tourner vers d’autres partenaires et en particulier les Russes qui sont vus aujourd’hui comme des “sauveurs” », poursuit M. Sidibé, qui espère toutefois que l’armée française « restera au Mali mais en changeant sa stratégie ».

Une lecture qui ne fait pas l’unanimité. « La junte militaire n’est pas venue pour libérer le pays mais pour s’enrichir le plus longtemps possible, juge un autre ressortissant malien qui souhaite rester anonyme. Si elle a fait appel aux mercenaires russes de Wagner, c’est juste pour assurer sa propre sécurité. »
Au sein des associations comme à l’intérieur des foyers de travailleurs immigrés, l’expulsion de l’ambassadeur français, nouveau pas dans la dégradation des relations entre les deux pays, a en tout cas renforcé un sentiment d’inquiétude. La communauté malienne de France compte officiellement près de 120 000 ressortissants « auxquels il faut ajouter quelques milliers de personnes en situation irrégulière », précise Baïdy Dramé.
Un pays sous embargo
« A aucun moment, les autorités maliennes n’en ont tenu compte lorsqu’elles ont pris la décision de renvoyer l’ambassadeur de France, s’insurge Balla Cissé, docteur en droit public à la Sorbonne et avocat au barreau de Paris. Cette expulsion manque d’élégance et de respect. La France n’a jamais rejeté le Mali, mais l’inverse vient de se produire. Le gouvernement malien ne pense qu’à lui. »
Car la crise diplomatique a déjà des répercussions économiques sur la diaspora malienne. Dimanche 9 janvier au Ghana, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont décidé de fermer les frontières avec le Mali et de mettre le pays sous embargo, afin de sanctionner la junte qui entend se maintenir au pouvoir pendant plusieurs années sans organiser d’élections.

Dans la foulée, Air France a suspendu temporairement ses liaisons avec le pays « avec effet immédiat ». « Cette décision brutale a entraîné des annulations de voyages et beaucoup de soucis », explique Sira Traoré, médiatrice sociale au sein de l’association Africa à la Courneuve (Seine-Saint-Denis). « Ceux qui font du business entre la France et le Mali ont été pénalisés, y compris ceux qui envoyaient des fonds à leur famille en les confiant à des passagers », ajoute Balla Cissé.
D’après la Banque mondiale, avec 812 millions d’euros en 2018, soit 6,7 % du PIB, le Mali occupe la 9e place des pays recevant le plus d’argent de sa diaspora dans le monde. Sur ce total, 245 millions d’euros provenaient des Maliens de France qui vivent en majorité en région parisienne, et notamment à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) où leur communauté compte une dizaine de milliers de ressortissants.
« On se sent un peu perdu »
Parmi les Maliens que nous avons rencontrés, une partie s’inquiète d’une éventuelle « riposte » voire « d’une vengeance de la France contre le Mali » après l’expulsion de son ambassadeur. Ils craignent un renforcement des contrôles dans les foyers de travailleurs migrants, une hausse des expulsions de sans-papiers, mais aussi plus de sévérité dans le traitement des dossiers au sein des préfectures.
« J’avais rendez-vous mardi pour mon dossier de regroupement familial, déplore un ressortissant malien, en France depuis 2015. Mon dossier était complet mais on a refusé de le prendre pour une histoire d’adresse incompréhensible. Je n’ai même pas pu obtenir un autre rendez-vous. » « Depuis le début de la semaine, trois autres cas allant dans le même sens [davantage de sévérité] m’ont été rapportés », indique Sira Traoré.

La situation des Maliens restés au pays inquiète également la diaspora. « Nous sommes dans la période où les jeunes Maliens font leur demande pour venir étudier en France, fait remarquer Bréhima Sidibé. Y aura-t-il des consignes de restrictions au niveau des demandes de visa ? Maintenant qu’il n’y a plus d’ambassadeur, c’est à craindre. » Sur le plan économique, l’embargo décrété par la Cédéao fait redouter une hausse des prix, une pénurie d’argent liquide et le non-paiement des salaires des fonctionnaires.
« En ce moment, la communauté malienne se pose beaucoup de questions. On se sent un peu perdu, reconnaît Mamadou Diakite, fondateur de l’association Bamako-sous-Bois, qui intervient à Montreuil (aide sociale, soutien aux migrants) et au Mali (accès à l’eau). On ne sait pas comment cette crise va finir. La diaspora doit s’unir pour appeler les dirigeants des deux pays à la raison. »


Pierre Lepidi

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page