L’initiative d’adopter un projet de création de police territoriale doit s’interpréter comme une procédure indirecte de révision constitutionnelle. Cette méthode est une grave atteinte à la constitution malienne du 25 février 1992. Cette décision qui dépasse les compétences et prérogatives du ministre de la réconciliation nationale, s’inscrit dans la catégorie des pouvoirs exceptionnels dévolus au Président de la République.
La mise en place de nouvelles structures et leurs fonctionnements démocratiques doivent répondre aux principes des exigences objectives et cohérentes, mais aussi ceux liés à l’esprit de la cohésion nationale que nos institutions doivent refléter à travers l’ensemble des régions du pays. L’heure est grave pour la patrie et le Mali comme État-nation est au bord de l’effondrement dont la cause ultime résulte de l’insouciance et l’irresponsabilité de ses dirigeants. C’est pourquoi nous interpellons le M5-RFP, les partis politiques, la société civile à assumer leur responsabilité de contrepoids à l’action gouvernementale pour saisir la Cour constitutionnelle sur le danger d’une dérive constitutionnelle. Il est impératif de ne pas attendre le fait accompli, même si l’adoption de ce projet de loi ordinaire sera éventuellement contestable devant les cours et tribunaux maliens à cause de son caractère illégal et anticonstitutionnel. Son adoption sera le prélude à un danger d’extension des revendications des autres régions du pays qui auront le droit à leur tour d’instituer leur propre police territoriale. Ainsi nous aurons au Mali, deux types d’armées;( une armée nationale et une armée reconstituée de rebelles), deux types de polices (une police nationale et des polices territoriales), deux ordres de juridictions (droit positif et droit religieux avec l’application de la CHARIA dans la zone de Farabougou). La confusion de ce parallélisme sonnera le glas au désordre et au chaos: soit la fin de la cohésion institutionnelle et de l’unité nationale dont le président de la République est le garant en vertu de l’article 118. Si nous jetons un regard sur la constitution de 1992, rien n’indique qu’une disposition de ce document fondamental prévoit la création d’une police territoriale. La Charte de la transition ne la prévoit pas non plus. Ce document supplétif assigne à la transition la mission de réforme, en déterminant ses limites au
«lancement du chantier» des réformes politiques, institutionnelles, électorales et administratives, ce en vertu de l’art.2 de la dite Charte. Autrement dit, c’est la tenue d’un Référendum qui peut disposer de ce projet de création de police territoriale, aussi bien que de la mise en œuvre de l’accord d’Alger.
DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES : :
En vertu de l’article 29 de la constitution, il incombe au président de la République, le devoir d’agir comme le gardien de la constitution. Il doit veiller au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assurer la continuité de l’État. L’art. 4 de la Charte de Transition lui confère ce même pouvoir.
En vertu de l’article 37, il doit prêter serment devant la Cour suprême et respecter cet engagement. Or nous constatons que le président de la Transition ne remplit pas adéquatement les obligations de sa fonction. La création d’une police territoriale est un sujet d’intérêt national qui exige la tenue d’un référendum en vertu de l’article 41 qui stipule que : « le président de la République sur proposition du gouvernement ou sur proposition de l’assemblée nationale, pendant la durée des sessions, après avis de la Cour constitutionnelle peut soumettre au Référendum toute question d’intérêt national, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics comme c’est le cas avec l’organisation des pouvoirs de la police territoriale et sa création comme institution.
En vertu de l’article 50, l’initiative de créer une police territoriale, relève d’un pouvoir exceptionnel qui n’appartient pas au ministre de la réconciliation nationale et qui ne peut être exercé que par le président de la République. Dans le cas en espèce, même le président de la Transition ne peut, à son tour, exercer cette compétence qui ne vise pas à assurer ni la continuité de l’État malien, ni le rétablissement dans les brefs délais, ni le fonctionnement régulier des institutions, car il existe déjà une police nationale opérationnelle (partout sur l’ensemble du territoire), à laquelle tous les citoyens maliens doivent appartenir. Rappelons à ce titre que le directeur général de la police nationale malienne était un touarègue et plusieurs autres citoyens maliens d’origine touarègue font déjà partie de ce corps. Comment le gouvernement peut justifier le fondement de sa décision à l’absence de discrimination envers cette communauté et la nécessité d’une telle dérive constitutionnelle. Que dit spécifiquement l’art. 50 de la constitution ? il est stipulé que « lorsqu’une menace grave et immédiate pèse sur les institutions de la République, que l’indépendance de la nation est compromise et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République doit prendre des mesures exceptionnelles, exigées dans de telles circonstances. Il est clair qu’au regard de cet énoncé, la décision du ministre Ismael Wagué relève d’une aventure et viole la constitution, en plus de menacer l’existence de la police nationale comme institution et la cohésion nationale au sein des régions du Mali. L’initiative est également une menace à l’intégrité territoriale dont il devra assumer la responsabilité historique d’avoir contribué à la désintégration territoriale du Mali. Il est au service du peuple malien à la faveur d’un coup d’État militaire et il ne bénéficie d’aucun pouvoir légitime que de se référer à la volonté de ce même peuple. De plus, il est important de rappeler les articles 59, 60, 61 et suivants que le Comité National de Transition et ses membres n’ont nullement la compétence constitutionnelle de légiférer sur son projet de loi portant création d’une police territoriale. Toute action allant dans ce sens, sera interprétée d’usurpation de pouvoirs constitutionnels dont les actes posés, pourraient être frappés de nullité. Nous allons examiner la question de révision constitutionnelle.
RÉVISION CONSTITUTIONNELLE :
Cette rubrique nous renvoie à l’article 118 qui stipule que l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au président de la République et aux députés. En vertu de la même disposition le projet ou la proposition de révision constitutionnelle doit être voté par l’assemblée nationale. Cependant, cette institution a été dissoute par le président Ibrahim Boubacar Kéita..Quant au CNT, les sages de la Cour constitutionnelle ont déjà statué que cette structure n’est pas une législature au sens de la constitution malienne (même si l’art. 13 de la Charte prévoit que c’est un organe législatif). Comme le CNT n’est pas un organe électif, la structure ne possède que le pouvoir de conseiller et d’agir comme rempart à l’action gouvernementale. Le sens de l’avis rendu par la Cour s’interprète, selon lequel le CNT n’a pas la compétence de voter une loi. En vertu de la Constitution malienne, le vote par l’assemblée nationale sur la révision constitutionnelle est exercé à la majorité des 2/3 de ses membres et le résultat ne sera définitivement reconnu qu’après avoir été approuvé par Référendum.
INTERPRÉTATION DES ARTICLES 50 et 118 :
Les articles 50 et 118 doivent être interprétés concomitamment. C’est-à-dire qu’aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire comme c’est le cas actuellement avec la rébellion de groupes armés terroristes. En conclusion, le projet de création d’une police territoriale est une fausse manœuvre indirecte qui vise la procédure de révision de la constitution, La décision affecte la forme républicaine et l’intégrité territoriale. La forme Républicaine prévoit une seule police nationale sur l’ensemble du territoire malien et ne peut faire l’objet de révision constitutionnelle. L’initiative de police territoriale est une tentative déguisée de concrétiser le projet de création d’un État « Azawad » dont les critères sont les suivants :
PROCESSUS DE CRÉATION D’UN ÉTAT APPELÉ « AZAWAD »
Pendant que la classe politique est distraite par les écueils de diversion portant sur des faits divers qui ne sont pas moins importants, les énergies collectives ne sont pas canalisées et orientées vers les questions de sécurité nationale, la déstabilisation, et l’œuvre funeste portant sur l’affaiblissement institutionnel à travers les projets de démantèlement de l’intégrité territoriale du Mali.
1- Critère géographique de délimitation portant sur l’étendue du territoire revendiqué comme appartenant à « l’Azawad » selon le projet de partition, obtenu
2- Critère de population, obtenu
3- Critère portant sur le symbole de souveraineté, un drapeau différent de celui du drapeau national malien est déjà créé, obtenu
4- Critère de création d’une armée : les groupes armés séparatistes ont déjà constitué une force militaire distincte de l’armée nationale abusivement appelée « armée reconstituée ». obtenu
5- Critère de police territoriale en voie d’être obtenu
6- Reconnaissance de la communauté internationale, processus en attente.
Le piège, c’est le refus du Désarmement Démobilisation Réintégration.(DDR) qui a été lucidement critiqué par le SRSG sortant Mahamat Saleh dont le rapport de fin de mission n’a malheureusement pas été soutenu et réapproprié par le gouvernement de Transition, l’ensemble de la classe politique et la société civile dont les regards sont tournés ailleurs sauf vers le destin commun : l’existence de l’État-nation (le Mali)
Conclusion : L’État unitaire au Mali est menacé par la création de deux institutions militaires (armée républicaine opposée à l’armée reconstituée), deux institutions policières (police nationale opposée à la police territoriale), deux ordres juridiques institutionnels (le droit positif opposé au droit religieux par l’application de la Charia dans certaines zones contrôlées par des djihadistes). Dans le cas de la création des deux corps exceptionnels, c’est à dire l’armée reconstituée et la police territoriale qui ne sont pas prévus dans la constitution, il faut s’attendre à des conflits institutionnels éventuels qui découleront de l’affaiblissement de l’armée républicaine et la police nationale. Les membres de ces deux corps ne pourront plus aller travailler librement dans les zones tenues par les groupes rebelles touarègues sur un fondement d’exclusion ethnique et raciale en violation de la constitution sur le droit d’accéder à un emploi d’intérêt général égal à tout citoyen malien et son droit de circuler librement sur le territoire malien, s’y installer pour y gagner sa vie. Rappelez-vous de l’expulsion des citoyens maliens de race noire de Kidal vers Gao. Les deux institutions exceptionnelles (armée reconstituée et police territoriale) créées seront des « corps réservés » discriminatoires entre citoyens maliens du nord et du sud consacrant ainsi la division territoriale et raciale entre maliens. De plus, les conditions matérielles et professionnelles de travail des membres de ces différents corps, seront caractérisées par les disparités suivantes : inégalité, injustice, iniquité. L’État central au Mali n’est pas encore suffisamment fort et ne dispose pas non plus de ressources suffisantes pour gérer la multiplication des institutions et structures dans le cadre d’une décentralisation poussée.
Mes frères et sœurs patriotes maliens, donnons nous la main et refusons l’irréparable. Adressons nous à la Cour constitutionnelle pour qu’elle donne son avis juridique.
Contribution de : Boubacar Touré, juriste, Montréal, Canada