(Préparé par : Boubacar Touré, juriste, Montréal, Canada)
Introduction : Le nouveau pouvoir politique au Mali depuis deux ans, a pris conscience du danger que représente « le Front islamique » à la paix sociale et à l’unité du pays. Le constat amer vient du fait que le vide politique sous le régime de Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) a favorisé l’irruption et l’envahissement du champ politique à travers des prédications offensives contre la gouvernance au Mali sans égard au jugement raisonnable, équilibré et partagé. Les récents incidents concernent les Imams-prédicateurs Mahmoud Dicko et Chouala Bayaya Haïdara. Avant eux, le Mali a connu d’éminents imams et prédicateurs qui se consacraient uniquement à leur vocation et qui ne perturbaient pas la cohésion sociale. Ceux-ci étaient très appréciés dans la société et ils ne cherchaient nullement à imposer une quelconque orientation ni religieuse ni politique. Les nouveaux dirigeants du pays ont compris qu’ils doivent assumer une responsabilité, celle d’assurer la stabilité et la cohésion sociale. Nous avons compris pourquoi, ils ont pris des mesures pour faire respecter le principe de laïcité au Mali, garantit par la constitution. Au nom de l’intérêt public, ils doivent procéder à la « désislamisation » de la vie politique pour éviter le « chaos islamiste ».
Nous risquons d’assister à une véritable menace qui plane sur la laïcité pratiquée au Mali dont l’objectif est d’instaurer une « dictature religieuse » aux autres minorités de croyances différentes. Cela s’était produit en 2012 avec Ansar Dine qui avait instauré au Nord du Mali, le droit musulman avec l’application de la « Charia », c’est-à-dire deux ordres juridiques (superposition du droit positif et du droit musulman). Des jugements extra-judiciaires étaient rendus contre des citoyens (nes) dont des parties du corps étaient amputées au nom de l’islam et des femmes obligées de se couvrir tout le corps au risque d’être lapidées, sans pouvoir se prévaloir du droit positif. C’est pourquoi plusieurs observateurs soupçonnent certains fondamentalistes comme (Ansar Dine, Front du Macina, al-Mourabitoune, AQMI, Ansaroul Islam, État islamique dans le Grand Sahara et NJIM). Tous ces mouvements sont actuellement très actifs dans le milieu djihadiste avec l’objectif de vouloir reproduire au Mali le scénario Égyptien quand Mohamed Morsi avait pris la tête des « frères musulmans ». Certains groupes qui sont tapis dans l’ombre conspirent pour s’appuyer sur une branche armée djihadiste qui sévit déjà au nord du Mali, afin d’imposer un ordre juridico-politique (l’État théocratique). Leur doctrine religieuse vise à changer le statu quo et transformer la société malienne pour l’orienter exclusivement vers une certaine unicité spirituelle universaliste. C’est-à-dire balayer toutes nos valeurs ancestrales et nier aux autres confessions religieuses le droit de pratiquer leur spiritualité. Ce projet macabre n’est plus caché quand on entend un fidèle musulman déclarer publiquement sur les réseaux sociaux « qu’ils vont s’impliquer en politique pour conquérir le pouvoir politique ». Paradoxalement, la laïcité est devenue ce qu’il convient d’appeler le « syndrome islamo-djihadisme ». Elle risque d’être la source d’un autre « Fitna » au Mali. On entend des maliens se plaindre d’une confiscation de leur liberté d’expression. Il faut distinguer la liberté d’expression qui est un droit reconnu et protégé par la constitution, à ne pas confondre avec des « prêches » ou « exhortations » démagogiques, abusives, erronées et calomnieuses. Ces actes constituent une instrumentalisation et une incitation à la révolte sociale et au désordre. Cependant, nous tenons à rappeler que tout citoyen malien a le droit d’exprimer des critiques constructives ou de manifester son mécontentement dans les limites permises par la loi. En plus, tout citoyen victime de préjudices subis, a le droit d’exercer des recours judiciaires qui résultent des effets d’une mauvaise gouvernance. L’usage d’autres recours, relève d’intention malveillante qu’aucun pouvoir politique ne saurait tolérer, surtout dans la situation qui prévaut actuellement au Mali où il y’a une instrumentalisation de l’islam à des fins de propagande politique pour influencer les âmes sensibles de la société. Ceux qui veulent se consacrer à l’islam sont libres de le faire sans faire d’amalgame avec le champ politique. Dans une société démocratique il y’a aussi des procédures pour adresser des questions sociales aux pouvoirs publics ou le cas échéant, aux pouvoirs judiciaires. C’est de cette façon que nous parviendrons à faire valoir la crédibilité de nos institutions.
ANALYSE : L’islam pratiqué au Mali a toujours eu un fondement modéré et diversifié. Une des valeurs de cet islam est le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et de la diversité des croyances; contrairement à l’idéologie djihadiste et terroriste qui se nourrissent de la précarité socio-économique de nos concitoyens, dans un contexte où il y’a absence d’opportunité et de perspective. La mauvaise gouvernance des pouvoirs précédents, notamment sous le régime de Amadou Toumani Touré (ATT) et d’IBK, associée aux sanctions de la « CEDEAO », n’ont fait qu’accroitre les difficultés économiques des maliens dans tous les secteurs d’activités. C’est le cas de la question de pénurie énergétique et de délestage qui remonte au gouvernement de Moussa Traoré et l’absence d’imputabilité et de redevabilité de tous les gouvernements antérieurs.
Pour comprendre les épisodes impliquant Mahmoud Dicko, en tant qu’imam prédicateur et homme politique, il faut une grille d’analyse particulière. D’après certains critiques, il s’est forgé un « double personnage mystérieux ». Il se réclame de l’islam Wahabite, courant dont il se récuse, préférant le terme « sunnite ». En 1991, lors du renversement du président Moussa Traoré par le lieutenant-colonel ATT, il était défenseur du président déchu et s’opposera à son renversement, mais certains observateurs soutiennent le contraire. Son ascension politique a commencé avec sa nomination comme président à la tête du Haut Conseil Islamique de 2000 à 2019. Cette position le projeta dans le champ politique, lui permettant d’avoir une proximité avec les décideurs politiques. En 2009, l’imam Dicko réussit son premier coup d’éclat politique, en mobilisant de nombreux fidèles contre le projet d’ATT qu’il finira par combattre, même s’il reconnaît par la suite, qu’il s’est trompé. Il obtint la suspension d’un nouveau code de la famille offrant plus de droits aux femmes maliennes. Selon le journal « LE MONDE », il « aime jouer sur deux tableaux, une référence au mouvement M5-RFP, qui lui a permis de prendre la tête d’une coalition composite mêlant partis politiques et mouvements religieux en début du mois de juin 2020 » D’après ce journal, Mahmoud Dicko est un prédicateur qui sait exalter les nombreuses frustrations d’une population rassemblée par dizaine de milliers lors des manifestations qu’il orchestre d’un verbe choisi et assuré ». Le chercheur Aly Tounkara soutient qu’aucun parti politique malien n’a sa capacité de mobilisation sociale. D’après lui, « Dicko est très attentif aux attentes des populations, à leurs frustrations dont il saisit pour redorer son image ». Les acteurs politiques Profitent de son influence pour accéder au pouvoir, comme ce fut le cas en 2012, lorsqu’il a mobilisé des fidèles-électeurs religieux dans les mosquées pour soutenir et faire élire IBK. Par ailleurs, il a utilisé cette proximité pour augmenter son influence religieuse et politique. Investi de la confiance d’IBK, celui-ci lui avait confié en 2012, le mandat de négocier avec des chefs djihadistes Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, alliés des terroristes, la libération des militaires maliens enlevés et détenus comme otages. Cette mission qui lui a été confiée présupposait sa proximité avec ces groupes djihadistes. Cette position lui a permis de participer à la prise de décision politique au sommet « devenant un personnage central de la scène politique malienne, dépassant largement l’enceinte de sa mosquée ». C’est ainsi qu’il avait influencé le choix de Boubou Cissé comme premier ministre, lorsque les rapports se sont détériorés avec ce dernier il l’a combattu et demanda son départ. Une certaine opinion croit qu’il est également derrière le choix de Moctar Wane comme premier ministre; et qu’il aurait exercé son poids politique auprès d’IBK pour combattre et chasser Boubèye Maïga du poste de premier ministre en 2019. Des observateurs affirment qu’un des motifs serait relié au programme adopté en 2018 par le gouvernement dirigé par celui-ci, et qui intègre dans les manuels scolaires l’éducation sexuelle. L’imam-prédicateur y voyait la promotion dangereuse des mœurs, soit une « valorisation de l’homosexualité ». La relation entre Mahmoud Dicko et IBK s’était détériorée au point que l’imam était devenu un critique virulent du pouvoir de son ami, qu’il a combattu jusqu’à sa chute. Après l’attentat de 2015 qui a fait 22 morts à l’hôtel Radisson Blu de Bamako, l’imam affirme que le terrorisme est un « châtiment divin » contre « la promotion de l’homosexualité, importée de l’occident et qui prospère dans notre société » Toutes ses offensives publiques lui ont permis de consolider confortablement son influence politique au Mali. Mais paradoxalement, il s’est retourné contre toutes ces personnes (ses propres bienfaiteurs) pour les « trahir ». C’est cette qualification qui le poursuit. Selon ses détracteurs, il aurait même traité IBK d’amnésique, car une perception était entretenue dans ce sens, en ces termes « le chef de l’État n’a plus les aptitudes physiques et mentales pour diriger le pays, IBK doit partir ». Cependant, IBK est celui qui lui avait rendu plusieurs services, selon son propre témoignage. Mais il fut le cheval de troie à la tête d’une coalition d’opposants pour réclamer la démission du président IBK sur fond de crise sociale le 18 août 2020. Par ailleurs nous faisons remarquer que les multiples activités de l’imam à l’extérieur du pays, ne cesse d’alimenter des suspicions. C’est ainsi que « le jeudi 22 juin 2023 Mahmoud Dicko a été brièvement interpellé à l’aéroport international de Bamako. L’influent imam revenait d’un voyage en Mauritanie lorsqu’il s’est vu retirer son passeport diplomatique après son audition de près de deux heures par la police, selon son entourage ». Tous les passeports diplomatiques doivent être retirés à tous ceux qui n’exercent plus de fonction officielle pour l’État. Mahmoud Dicko est très critique envers les autorités de la transition, en raison notamment du projet de la nouvelle Constitution et du référendum constitutionnel. C’est dans ce contexte que le peuple malien a été témoin des événements conduits par un groupe de contestateurs religieux qui ont manifesté contre le principe de laïcité maintenu dans l’avant-projet de constitution du gouvernement de transition. Ils ont fait un amalgame entre « l’islam et laïcité ». Cette situation s’est transformée en épreuve de force contre le pouvoir de transition, lorsque la Coordination des Mouvements, Association et Sympathisants (CMAS) qui soutient Mahmoud Dicko avait introduit en justice, trois (3) requêtes en annulation du Référendum constitutionnel pour empêcher l’adoption du projet le 18 juin 2023. L’influent imam Mahmoud Dicko a multiplié les invectives en « mettant en garde le pouvoir militaire sur la gestion actuelle du pays ». Finalement, il prétend qu’il était parti à Alger dans un cadre de l’inauguration d’une mosquée dont personne n’a vu les images. Apparemment il était présent en même temps que des représentants de groupes armés rebelles, invités à participer à des discussions sur le processus de paix. Cet événement a provoqué une crise diplomatique du 20 au 23 décembre 2023. Rappelons à cet effet que l’imam Dicko n’avait aucune légitimité pour discuter des enjeux géopolitiques au nom du Mali, d’autant plus qu’il entretient des rapports difficiles avec les autorités de transition au Mali. Dicko est une figure charismatique de l’islam, qui est supposée représenter une autorité morale, son comportement est interprété par plusieurs maliens comme une défiance aux autorités maliennes en n’accomplissant pas son devoir civique de les informer de cette invitation officielle qui lui a été adressée pour participer à des discussions sur des sujets sensibles concernant le Mali à l’extérieur du pays. Pour l’inauguration de la mosquée qui était une activité islamique, il aurait pu se faire accompagner par le président du Haut Conseil Islamique du Mali.
« La nouvelle condition de la pratique de l’islam dépendra tout d’abord de la compréhension du fonctionnement de l’islam, du niveau élevé de la conscience musulmane en matière d’expression de la foi religieuse, de l’application des textes sacrés du coran et non le clientélisme politique par la dévotion aux politiciens, un domaine d’activités qui les éloignera de la traduction des valeurs spirituelles de l’islam dans le social. Le rôle de la culture musulmane, c’est de donner une conscience à nos élites en attirant leur attention sur le sens de leur mission sociale, morale et technique. Les islamophiles doivent encourager un fondement doctrinal d’un islam constructif qui incarne le développement social et la productivité, susciter l’effort personnel qui n’est pas limité ni par la fatalité, ni par le fanatisme, ni par le gain matériel et financier facile ». Au délà de leur rhétorique, les deux prédicateurs-islamistes Mahmoud Dicko et Chouala Bayaya Haïdara semblent avoir choisi comme action stratégique, celle du mode de contrôle politico-social comme instrument de combat politique à travers l’usage de leur notoriété islamique. Leur mouvement dans le champ politique, risque de les exposer à la dynamique des exigences du politique où ils seront toujours confrontés à la réalité de l’adversité des opposants politiques. Soit, ils se consacrent à leur vocation de l’enseignement de l’islam pour préserver leur crédibilité et la confiance de leurs fidèles; soit, ils s’inscrivent dans le processus politique de la conquête et de l’exercice du pouvoir. Au niveau politique, l’enjeu porte sur des intérêts, alors ils feront face à des acteurs qui pourraient les combattre « sans état d’âme ».
CONCLUSION : Mahmoud Dicko s’est justifié mais la majorité des maliens ont une autre conception, car ils ne le jugent pas en fonction de ses paroles, mais pour ses actes de « duplicité » depuis son expérience controversée avec ATT et IBK. En vertu de la loi, tous les auteurs des actes de forfaiture contre le Mali, doivent s’expliquer devant la justice et non à travers des médias. Ce qui est intriguant selon les observateurs de la scène politique malienne, « c’est une suspicion de proximité entre l’imam Dicko avec certains groupes djihadistes, notamment le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM) ». « Des salafistes avec lesquels il partage quelques valeurs, bien qu’il s’oppose fermement à l’usage de la violence ». Rappelons que le CSP a eu une alliance sulfureuse avec le GSIM, lié à Al-Quaida pour s’opposer au transfert par la MINUSMA aux FAMA’s , de certaines emprises du nord (le CSP est une coalition de mouvements politiques et militaires du nord du Mali, formée le 6 mai 2021). En 2012 les rebelles Touarègues du MNLA ont eu recours à la même stratégie pour nouer alliance avec d’autres groupes terroristes dans le but d’attaquer les forces armées maliennes pour renverser nos institutions. L’imam était opposé au partenariat entre le Mali et la Russie pour combattre les groupes armés islamo-terroristes. Il rétorqua: « qu’il ne faut pas retirer sa main d’un infidèle et donner à un autre infidèle ». Selon le rapport de Human Rights Watch, « depuis janvier 2023, les groupes armés islamistes ont perpétré des meurtres à grande échelle, des viols et des pillages dans des villages du Nord-Est du Mali, forçant des milliers de personnes à fuir ces villages ». Revenons à la déclaration de Dicko qui avait affirmé « qu’il n’existe pas de communication entre lui et le nouveau pouvoir ». Ce qui ne « semblait pas être le cas au début de la prise du pouvoir par les militaires, puisque l’imam était consulté, d’après lui-même ». Si tel est le cas, il n’avait aucune légitimité d’aller discuter des grands enjeux avec les partenaires du Mali, car il n’avait ni le mandat ni la confiance morale. De plus, il n’a pas eu la sagesse d’informer ceux qui ont la caution et la légitimité populaire de représenter le Mali comme interlocuteur sur le plan international. Selon un adage, l’habitude est une seconde nature. Il faut rappeler que Dicko avait profité précédemment sous des régimes antérieurs, d’un contexte politique où on lui avait accordé un statut privilégié qui lui permettait de troquer la soutane islamique contre une ambition politique inavouée. « Son ascension est le symbole de l’échec de l’élite politique malienne ». Quant à Chouala Bayaya Haïdara et tous les autres prêcheurs islamistes, leurs activités de communications sur les réseaux sociaux, doivent être encadrées et régit par un règlement disciplinaire à l’intérieur d’un code de déontologie. Jetons un regard sur l’islam qui est un système complet de vie, un ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but ou un système de connaissances liées entre elles en une unité idéale. Pour garantir et consolider cette unité, son objectif ne doit pas être brisé ou détourné par les intérêts divergents et égoïstes de certains leaders religieux qui privilégient la conquête et la construction d’une image de prédicateurs-politiciens.